Une plateforme de télémédecine ouverte et autonome
MERCREDI 04 DéCEMBRE 2019 Soyez le premier à réagirDans un contexte démographique médical tendu et pour répondre aux besoins de continuité de la prise en charge radiologique des populations, les projets de téléradiologie fleurissent. Nous avons rencontré le Dr Stéphane Carre qui est à l’origine d’une plateforme territoriale de téléradiologie et télé-expertise reposant sur un modèle économique innovant et autonome.
Thema Radiologie : Vous avez posé, en 2015, les bases juridiques d’une société de service de télémédecine. Qu’est-ce qui vous a motivé pour initier ce projet ?
Dr Stéphane Carre : En tant que praticien radiologue en activité à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, j’ai été amené à identifier au quotidien les besoins pratiques en « outils de télémédecine » de mes confrères. Notre région est en effet, par sa configuration géographique, très enclavée entre Lac et Montagne ce qui rend plus difficile qu’ailleurs la coordination des professionnels de Santé pour la prise en charge de leurs patients. Cela génère de fait un isolement des professionnels médicaux avec en corolaire un manque d’attractivité vis-à-vis des jeunes professionnels médicaux. Il convenait donc de mettre à disposition des médecins une plateforme de télé-expertise et de téléradiologie au sein de notre territoire. Les médecins isolés, en particulier de Montagne mais également d’EHPAD, peuvent ainsi disposer simplement d’avis de médecins spécialistes en orthopédie, rhumatologie, dermatologie, radiologie et gériatrie situés dans la vallée . Par ailleurs la création d’un pool élargi de téléradiologues publics et privés permet de mutualiser l’effort de Permanence des Soins en journée et lors des gardes afin de pallier le manque de ressources actuelles des Hôpitaux du territoire.
T.R. : Comment avez-vous structuré votre projet de plateforme de téléradiologie ?
Dr S. C. : La création d’un support Juridique disruptif par ses statuts, son règlement intérieur, son modèle d’autofinancement et ses conventions d’utilisation était la clé de la réussite et de l’attractivité du dispositif. Cette normalisation juridique a convaincu les collectivités territoriales de nous aider car il s’agissait d’un projet de Santé publique participant à l’aménagement du territoire et à l’innovation. Nous avons donc obtenu l’adhésion de la région Rhône-Alpes, du département et de la préfecture de Haute-Savoie, ainsi que de l’ARS au travers d’un Contrat Plan État-Région. Cette synergie médicale et politique loco-régionale a permis de lever des fonds pour le financement structurel de la plateforme technique délocalisée, centralisée et ultra-sécurisée agrée Hébergeur de Données de Santé (HDS).
T.R. : Quelle est la vocation de votre plateforme sur le plan médical ?
Dr S. C. : Nous avons souhaité couvrir deux champs distincts : la téléradiologie tout d’abord, pour assurer la continuité de la prise en charge au niveau territorial, et la télé-expertise pour faire bénéficier d’un second avis le cas échéant. En pratique, nous fonctionnons comme un GIE, avec des intérêts publics et privés équilibrés, mais en autonomie complète, la gouvernance étant contrôlée par les médecins associés au projet. Il n’y a pas d’intérêts économiques, pas d’actionnaire extérieur, ce qui nous permet de mettre en commun nos ressources médicales à l’échelle territoriale et de pouvoir proposer la plateforme à des médecins afin d’étendre les réseaux en fonction des besoins .
T.R. : Qui a accès à votre plateforme de télémédecine ?
Dr S. C. : Nous accueillons l’ensemble des médecins qui veulent bien s’associer au projet. Quelle que soit l’origine publique ou privée, la structuration juridique permet d’accueillir des établissements hospitaliers, des cabinets privés, des EHPAD ou des maisons de Santé qui peuvent chacun se connecter pour utiliser les services. Notre plateforme a d’ailleurs vocation à élargir son champ d’action au niveau régional et, pourquoi pas, national. Notre modèle, unique dans son fonctionnement, connait un succès certain. Nous avons misé, sur le plan médical, sur une organisation qualitative avec une commission médicale qui contrôle les protocoles de prise en charge des patients à partir des recommandations des sociétés savantes (choix des modalités, délai de prise en charge, protocoles d’acquisition, etc.).
T.R. : Avez-vous rencontré des freins au développement de votre projet ?
Dr S. C. : Les principaux freins étaient liés à la structuration juridique et financière du projet car il fallait apporter les garanties nécessaires aux différents acteurs publics et privés. Une fois obtenue la validation des conventions d’utilisation par l’ARS, tous les feux ont été au vert. Cette exigence de l’ARS en particulier fait aujourd’hui la force de notre projet, car c’est un gage de qualité et de pérennité.
T.R. : Comment votre plateforme fonctionne-t-elle sur le plan technique ?
Dr S. C. : Elle fonctionne comme un RIS possédant une brique spécifique à la téléradiologie. Tous les flux sont tracés, elle est, comme je l’ai dit précédemment, HDS et possède une couche dédiée aux télé-expertises. Un système de visualisation avec des écrans normés de dernière génération est, de plus, mis à la disposition des téléradiologues qui peuvent faire les recherches d’images avec un web bowser dans le data center national.
T.R. : Pour finir, quels sont les atouts de votre projet au niveau national ?
Dr S. C. : Le projet local nous a permis d’éprouver les modèles juridiques, financiers et organisationnels médicaux. Nous pouvons d’ores et déjà justifier d’un retour d’expérience et de suivi de l’efficience. Nous pouvons donc sereinement proposer aux radiologues de rejoindre le dispositif en toute sérénité selon des modalités d’adhésion/sorties souples et avec des garanties de maîtrise comptable. Les rémunérations se feront à l’acte intellectuel afin de valoriser avant toute chose les effecteurs. Les ressources seront mutualisées selon une préférence locale/territoriale mais avec des possibilités de débord sur le plan national. L’infrastructure existante est dimensionnée pour accueillir un nombre important de partenaires, établissements demandeurs ou médecins. Elle est déjà financée par le CPER, notre modèle économique innovant nous permet d’assurer la pérennité de la plateforme afin de proposer un dispositif gagnant-gagnant sans société intermédiaire.
Propos recueillis par Bruno Benque